Lâcher de moustiques OGM : Un grand pas dans la lutte contre le paludisme qui suscite des inquiétudes

Pour éradiquer le paludisme au Burkina Faso, faut-il nécessairement lâcher des moustiques génétiquement modifiés dans la nature ? C’est une idée du programme Target Malaria pour laquelle tout le monde n’est pas unanime. Cependant, cela n’a pas empêché l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) de procéder le 1er juillet 2019, à un lâcher à petite échelle de près de 6400 moustiques mâles stériles génétiquement modifiés à Bana, localité située à 25 km de Bobo-Dioulasso dans la province du Houet. Si ces moustiques sont qualifiés par la société civile de terroristes et de médecines coloniales, l’IRSS bénéficie toutefois de l’accord de l’Agence nationale de biosécurité pour cette expérimentation.

Les moustiques génétiquement modifiés ont été libérés dans le sud-ouest du Burkina Faso

Avec un million de victimes chaque année selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), le paludisme constitue un fléau mondial. L’Afrique est le continent le plus touché, environ 40% de sa population est exposée au paludisme, transmis par les moustiques de plus en plus résistants aux insecticides. Au Burkina Faso, le paludisme est l’une des premières causes de mortalité. En 2017, selon l’OMS, le pays a enregistré plus de 7 millions d’infections et 27 000 décès. Face à cette situation alarmante, les chercheurs ont pris l’initiative de tester des moyens de lutte contre la maladie, parmi lesquels figure en bonne place l’expérimentation avec les moustiques génétiquement modifiés. L’idée est donc de modifier génétiquement l’insecte pour le rendre inoffensif. Et la technique très prometteuse qui suscite beaucoup d’espoir dans les laboratoires, c’est CRISPR-Cas9, un acronyme barbare qu’on simplifie en parlant de ciseaux génétiques ou de ciseaux moléculaires. Cet outil puissant permettrait de couper l’ADN a un endroit précis et de le réparer ou de le modifié.
Le premier lâcher de ces moustiques OGM a été effectué pour la première fois en Afrique le 1er juillet dernier à Bana, dans les encablures de Bobo-Dioulasso. Selon l’IRSS, ce lâcher à petite échelle de près de 6 400 moustiques devra permettre d’acquérir des informations sur le taux de survie quotidien des moustiques mâles stériles, sur leurs mouvements à Bana et sur leur capacité à participer aux essaims. « Les moustiques que nous avons lâchés sont des mâles stériles génétiquement modifiés, ce qui voudrait dire que quand ces mâles s’accouplent avec des femelles, celles-ci n’ont pas de progénitures », explique le Dr Abdoulaye Diakité, Chercheur principal du projet Target Malaria, un consortium de plus de 150 chercheurs africains et occidentaux, financé par la fondation Bill et Melinda Gates .

Dr Abdoulaye Diakité, chercheur, Chercheur principal du projet « Target Malaria »

L’étape finale de la recherche vise à réduire la transmission du paludisme au Burkina Faso. Selon le Dr Diabaté, « l’objectif final que nous visons dans cinq ou six ans, c’est de venir avec un produit spécifique de moustique génétiquement modifié, que nous pouvons lâcher sur le terrain, et ces moustiques vont avoir un facteur spécifique qui nous permet de pouvoir réduire la transmission soit en réduisant de façon très drastique la densité des moustiques sur le terrain ou alors en nous attaquant d’une certaine façon à la fertilité des moustiques ». Mais rassure-t-il, « Ces moustiques ont une durée de vie très courte, ils disparaitront rapidement et ne peuvent pas se reproduire ».
Ce lâcher a laissé place à beaucoup d’interrogations notamment de la part de la société civile qui émet des doutes sur cette expérimentation. Selon certains analystes des questions scientifiques, ce n’est pas toujours évident. En effet, parfois, expliquent- ils, la modification obtenue en laboratoire est trop délicate pour être reproduite en grande échelle. Le jeu nôme d’anophèle gambiae est plus difficile que d’autres à manipuler. Il faut imaginer que les chercheurs interviennent sur les œufs des moustiques. C’est évidemment tout petit, ils n’ont pas 100% de réussite. En plus, les moustiques modifiés sont ceux dont la descendance est incapable de transmettre le paludisme.


Et pourtant, il y’a eu des expériences qui ont été couronnées de succès


Cependant, avec une autre utilisation de CRISPR-Cas9, cela a été bien possible. Plutôt que de transformer le moustique pour qu’il ne transmette pas le paludisme, on procède à une éradication de l’insecte. C’est ce qu’on appelle le forçage génétique. Contrairement aux lois classiques de l’hérédité, on force, on favorise un gène. Cela permet de contrôler une population en diminuant le nombre d’insecte capable de se reproduire. Cela a bien marché aux Îles Caïman par exemple. Mais pour cela, il faut des lâchers réguliers d’insectes. Le bénéfice pour la population est évident, moins d’insecticides, moins de personnes piquées. Mais d’un point de vue écologique et éthique, cela pose question. Quel impact sur le long terme, notamment sur les autres espèces ?

Ali Tapsoba, le porte-parole du collectif citoyen pour l’agro écologie (CCAE)

C’est l’inquiétude partagée par la société civile et les activistes de la protection de l’environnement au Burkina Faso. Selon eux, il y a à coup sûr des risques imprévisibles et irréversibles de ces manipulations génétiques pour la santé et l’environnement. « Certes, le palu fait des milliers de victimes, seulement nous pensons que cette solution n’est pas la meilleure. C’est un sauveur inconnu, parce qu’on soupçonne qu’en modifiant le jeu nôme de ce moustique, on risque de faire que son organisme puisse héberger des maladies comme l’hépatite ou le SIDA », a indiqué Ali Tapsoba, le porte-parole du collectif citoyen pour l’agro écologie (CCAE).
Selon lui, des informations scientifiques indiqueraient qu’il n’est pas possible de sélectionner manuellement des œufs de moustiques exclusivement mal et même que des scientifiques de la sous-région exprimeraient leurs inquiétudes face à cette expérimentation. Et de conclure, « ces moustiques génétiquement modifiés sont des terroristes, de médecines coloniales, car on ne peut pas utiliser des êtres vivants pour une science hasardeuse, on ne les veut donc pas ».

Ces moustiques OGM ont été conçus dans ce laboratoire de l’IRSS à Bobo-Dioulasso

Moustiques terroristes ou pas, le projet Target Malaria, a cependant bénéficié de l’aval de l’Agence nationale de biosécurité. Toute chose qui porte à croire que ce projet de recherche intègre les exigences en matière de protection des populations et de l’environnement.


Sié Alfred Kam

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