Quelle valeur pour le doctorat ?

En France, la proportion de titulaires d’un doctorat (ou d’un Ph.D.) est au niveau de la moyenne de l’OCDE et les sciences sont le domaine privilégié d’études.

Dans les nomenclatures internationales, les titulaires d’un titre équivalent au doctorat sont ceux qui ont atteint le niveau d’enseignement le plus élevé. Relèvent de cette catégorie les chercheurs titulaires d’un doctorat ou d’un Ph.D., qui aident à la création et à la diffusion du savoir dans la société, et stimulent l’innovation. Sur la base des taux d’obtention d’un diplôme de 2011, on estime que dans les pays de l’OCDE, mais aussi en France, 1.6 % de jeunes termineront avec succès un programme de doctorat. Cette proportion dépasse 2 % en Allemagne, en Autriche, en Chine, en Finlande, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse (graphique 1).

En termes chiffrés, en 2011, en France, 71 000 étudiants étaient scolarisés en doctorat et environ 12 000 jeunes sont sortis avec un doctorat en poche, soit environ 4 % du nombre total de doctorats délivrés dans le monde. En 2011, le nombre de doctorats décernés en France était supérieur de 20 % par rapport à 2000, un résultat qui s’inscrit dans la tendance globale de cette dernière décennie, marquée par une augmentation significative du nombre de diplômés du supérieur en France.

 Graphique 1 : Taux d’obtention d’un doctorat ou d’un Ph.D., par nationalité (2011)

Les sciences sont le domaine d’études privilégié des doctorants en France, avec quasiment 1 étudiant sur 2 entreprenant un doctorat dans ce domaine, contre seulement 1 sur 4, en moyenne, dans les pays de l’OCDE. À noter : le marché mondial des doctorats est soumis à une concurrence croissante dans laquelle les pays émergents jouent un rôle de plus en plus prépondérant. Un quart des doctorats dans le monde sont ainsi délivrés par seulement 4 pays (le Brésil, la Fédération de Russie, l’Inde et la Chine), soit une proportion à peu près équivalente à celle des doctorats décernés par l’ensemble des pays de l’Union européenne.

Les femmes sont sous-représentées dans les doctorats en France et dans la plupart des pays de l’OCDE.

Alors que les femmes sont en général nettement plus nombreuses que les hommes à entreprendre des études supérieures et à en sortir diplômées, elles restent sous-représentées aux plus hauts niveaux de formation. En moyenne dans les pays de l’OCDE, en 2011, 54 % des doctorats ont été délivrés à des hommes, une proportion qui s’établit à 56 % en France. Cette tendance s’observe dans l’ensemble des pays, à l’exception du Brésil, de la Finlande, des États-Unis, de l’Islande, de la Nouvelle-Zélande, de la Pologne et du Portugal, où les femmes se voient désormais décerner la majorité des doctorats. Par contraste, en Corée et au Japon, seuls 30 % environ de ces titres sont délivrés à des femmes.

En France, le doctorat est particulièrement attractif pour les étudiants enmobilité internationale.

En France, les proportions d’inscrits en doctorat et de diplômés de ce niveau d’enseignement sont dans la moyenne des pays de l’OCDE, mais ces chiffres sont trompeurs : 42 % des inscrits sont étrangers et environ 1 étudiant sur 3 titulaire d’un doctorat est lui aussi en mobilité internationale.

À la hausse par rapport à 2000, ces chiffres traduisent à la fois l’attractivité de ces filières pour les étudiants étrangers, mais surtout la peur grandissante de s’y engager pour les étudiants nationaux. Le diagramme ci-dessus montre la forte attractivité des filières menant à un doctorat sur les pays francophones (Maroc, Tunisie, Viêtnam, Liban, Algérie et Sénégal), mais aussi sur certains pays émergents tels que la Chine ou le Brésil. Ces tendances témoignent d’une réelle reconnaissance de la qualité des formations dispensées, d’autant plus que la France, contrairement à la Nouvelle-Zélande ou à l’Australie, par exemple, n’a pas de stratégie très élaborée pour accorder des visas longue durée ou retenir les étudiants étrangers sur son marché du travail après l’obtention du diplôme.

Comment expliquer la frilosité des étudiants français face au doctorat ?

Les filières menant au doctorat attirent les étudiants étrangers, mais paradoxalement moins les Français. Le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur les difficultés d’insertion professionnelle des docteurs (http://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=1013), rédigé par Mohamed HARFI, donne plusieurs pistes pour comprendre ce phénomène bien français :

1) Une faible reconnaissance du diplôme de docteur sur le marché du travail

L’insertion professionnelle des docteurs est bien délicate en France, davantage encore pour ceux qui ne sont pas devenus enseignants-chercheurs. Alors que l’insertion sur le marché du travail des diplômés des filières courtes techniques de type IUT ou d’un master se fait relativement bien (taux de chômage de 7 % pour les titulaires d’un master, par exemple), le taux de chômage des titulaires d’un doctorat culmine à 10 %, avec des emplois relativement précaires pendant les premières années d’exercice. Cependant, l’employabilité des docteurs est facilitée lorsque le doctorat bénéficie d’un financement, ce qui est le cas pour deux tiers des doctorants inscrits en première année de doctorat, dont le taux de chômage moyen est de seulement 7 %.

En France, le manque de débouchés pour les titulaires d’un doctorat est accentué par le sous-investissement des entreprises dans la R-D qui, en 2011, représentait 63 % de l’investissement total de 2.25 % du produit intérieur brut (PIB) – quand dans le même temps,  l’Allemagne, par exemple, consacrait 2.84 % de son PIB à la R-D, dont 67 % étaient financés par les entreprises.

2) La concurrence des grandes écoles

La France se caractérise par un système « dual » au sein duquel les grandes écoles sont identifiées comme les voies d’excellence attirant et formant les meilleurs éléments au terme d’un cursus menant au niveau master. Il s’agit là d’une exception française car, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le doctorat est considéré comme le diplôme le plus prestigieux. Les docteurs issus de l’université ne correspondent pas à cette particularité culturelle et sont d’autant plus pénalisés que bon nombre de recruteurs – formés en écoles de commerce ou de management – ne sont eux-mêmes pas issus de la formation universitaire française classique.

3) Un diplôme aux compétences mal identifiées par les employeurs

Un autre frein réside dans le fait qu’en France, le doctorat est perçu sur le marché du travail comme un diplôme insuffisamment normé – contrairement à un master professionnel – et débouchant sur des compétences professionnelles mal identifiées par les employeurs. Le manque de transversalité du doctorat français s’avère aussi nuire à l’insertion professionnelle, alors que dans certains pays anglo-saxons, le doctorat est pluridisciplinaire, élargissant ainsi les débouchés possibles pour les titulaires du diplôme.

Dès lors, même les postes dédiés à la recherche au sein des entreprises françaises sont majoritairement dévolus à des ingénieurs issus de grandes écoles (54 % en 2009, contre 13 % de docteurs, selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche). On assiste néanmoins depuis quelque temps au développement des recrutements sur des fonctions autres que la recherche, qui représentent désormais plus de la moitié des embauches de docteurs en entreprise.

À ces obstacles dans le secteur privé s’ajoute un déficit chronique de postes d’enseignants-chercheurs au sein des universités françaises, où les places s’annoncent de plus en plus chères en temps de rigueur budgétaire. Par contraste, en Norvège ou en Suède, plus de 40 % des dépenses des universités sont consacrées à la R-D, permettant l’embauche d’un nombre conséquent de chercheurs.

Des initiatives existaient, et d’autres ont vu le jour, pour optimiser l’accès des docteurs à l’emploi.

Si certaines initiatives s’avèrent efficaces pour améliorer l’employabilité des doctorants, elles n’ont peut-être pas été suffisamment développées pour le moment.

Ainsi, toute mesure visant à favoriser le financement des doctorats optimise l’insertion professionnelle. C’est dans cette optique que depuis 1981, ont été mises en place les conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE). Ces conventions ont pour but de créer une synergie entre doctorants, entreprises et laboratoires publics, via l’embauche de doctorants au sein d’entreprises pour y effectuer leurs travaux de recherche, en échange de subventions du ministère de l’Enseignement supérieur à travers l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Mis en place en amont, ce dispositif facilite évidemment l’embauche à l’issue du doctorat au sein des entreprises concernées, les axes de recherche rejoignant alors les besoins de l’entreprise en termes de R-D. Les docteurs issus des conventions CIFRE sont ainsi 96 % à obtenir un emploi au bout d’un an (L’état de l’emploi scientifique en France, MESR, 2013).

D’autres  initiatives ont récemment vu le jour, toujours dans l’optique d’améliorer la situation des docteurs sur le marché du travail. Ainsi, depuis 2009, les contrats doctoraux – contrats de droit public d’une durée de 3 ans – garantissent une rémunération minimale à leurs bénéficiaires. De même, les écoles doctorales ont, entre autres missions, celle d’accompagner l’insertion professionnelle. Ces dispositifs visent à atténuer la précarité du statut de doctorant, principal facteur d’abandon et de difficulté d’insertion, quand on sait qu’un tiers des doctorats ne sont pas financés à l’heure actuelle.

Enfin, faciliter l’accès des docteurs à la fonction publique est un chantier d’envergure, qui a récemment connu certaines avancées. La loi du 22 juillet 2013 assimile ainsi, par exemple, la durée du doctorat à une période d’activité professionnelle en vue du troisième concours de l’ENA, et tend globalement à mieux reconnaître les acquis professionnels des docteurs.

Élargir les débouchés des filières doctorales : une priorité pour renforcer leur attractivité.

La qualité des formations conduisant au doctorat en France est indéniable. En témoigne le nombre croissant d’étudiants étrangers inscrits dans ces filières. Cependant, ces formations subissent la concurrence des grandes écoles et leurs débouchés sont encore insuffisants, autant de facteurs qui diminuent la rentabilité d’entreprendre des études doctorales aujourd’hui pour un étudiant français. Dans sa forme actuelle, le doctorat n’a pas une valeur suffisante sur le marché du travail, du moins pour la large majorité d’étudiants qui ne deviendront pas enseignants-chercheurs à la fin de leurs études. En outre, en France, le diplôme de doctorat ne jouit pas du prestige dont il bénéficie dans la plupart des autres pays de l’OCDE ou même dans les pays émergents.

Dès lors, la forte corrélation entre le financement des doctorats et l’insertion professionnelle amène à réfléchir au développement du modèle de financement par les entreprises. Le succès des CIFRE en termes d’insertion professionnelle pourrait ainsi ouvrir la voie à d’autres dispositifs novateurs. Une piste pour l’avenir du doctorat résiderait dans une plus grande implication des entreprises dans son financement, en échange d’années dues aux entreprises une fois le doctorat soutenu, comme le recommande Mohamed Harfi dans le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Ce système favoriserait l’investissement privé dans la R-D, en apportant plus de sécurité et de visibilité à moyen terme à l’employeur potentiel, tout en permettant un meilleur financement de la période de doctorat. De plus, la mise en adéquation des axes de recherche avec les besoins des secteurs concernés ne saurait être que bénéfique pour l’innovation en France.

Le renforcement de l’attractivité des filières doctorales pour les étudiants français n’adviendra qu’au prix d’une participation plus active des entreprises dans le financement de la R-D et du développement de ce type de dispositifs.

(Visited 65 times, 1 visits today)